« Certains hommes d’affaires véreux ont été à l’origine des campagnes de lobbying et n’ont cherché qu’à déloger des ministres qui ont commencé à «déranger» et ont mis la main où il ne fallait pas. Résultat, le pays croule aujourd’hui sous le joug de la corruption et il est difficile d’édifier une véritable démocratie et développer l’économie dans pareilles conditions et en l’absence d’une réelle volonté politique de lutte contre la corruption ».
S’attaquer frontalement à l’hydre de la corruption s’avère la pire des stratégies et la lutte peut basculer en faveur des corrompus quand ce sont les politiques qui mènent le bal et s’offrent une nouvelle virginité à l’hémicycle. Deux illustres noms de cette lutte ont déjà payé au prix fort leurs tentatives de briser l’omerta.
Il s’agit de Mohamed Abbou, ministre de la Fonction publique, de la Bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption, dans le gouvernement Fakhfakh, qui vient de rendre son tablier en démissionnant de son parti politique, le Courant démocratique, et du doyen Chawki Tabib, bizarrement démis de ses fonctions à la tête de l’Instance nationale de la lutte contre la corruption (Inlucc), sur décision d’un chef de gouvernement lui-même acculé à la démission suite à une affaire de conflit d’intérêts.
Une démission et un limogeage dont le timing soulève moult interrogations pour deux «MM.Propres» figurant en première ligne de la lutte contre la corruption, ce qui ne fait que confirmer une amère réalité dans le pays. La corruption est systémique dans notre pays et prend racine dans le système politique. Que de batailles perdues mais cela veut-il dire pour autant que le pays a déjà perdu la guerre contre la corruption ?
Des dossiers brûlants sans suite
Au temps de la Troïka, Mohamed Abbou avait claqué la porte et présenté sa démission du gouvernement Hamadi Jebali où il avait occupé le poste de ministre de la Réforme administrative. L’appétit d’ogre d’Ennahdha n’a laissé aucune chance pour les réformes prônées à cette époque par Abbou qui fut membre du Congrès pour la République, le parti de l’ancien président de la République Moncef Marzouki, duquel il a dû démissionner pour former son nouveau parti en 2013, le Courant démocrate. De 2012 à 2020, soit huit ans après, la situation n’a pas changé d’un iota, elle n’a fait qu’empirer, nous a révélé l’une des conseillères de l’ancien ministre Mohamed Abbou qui préfère garder l’anonymat. Les temps sont plus durs pour les dénonciateurs qu’on ne le croit.
Certains hommes d’affaires véreux ont été à l’origine des campagnes de lobbying et n’ont cherché qu’à déloger des ministres qui ont commencé à «déranger» et ont mis la main où il ne fallait pas.
Résultat, le pays croule aujourd’hui sous le joug de la corruption et il est difficile d’édifier une véritable démocratie et développer l’économie dans pareilles conditions et en l’absence d’une réelle volonté politique de lutte contre la corruption.
A ce titre, elle confirme ses propos par les déclarations de l’ancien ambassadeur de l’UE en Tunisie lors de son entretien publié par le journal Le Monde en juillet 2019, dans lesquels il explique que «certains groupes familiaux n’ont pas intérêt à ce que de jeunes opérateurs tunisiens s’expriment».
Il faut impérativement briser la loi du silence qui règne autour de certains dossiers de corruption mais pour cela, il s’avère que la volonté politique fait défaut dans le pays, laisse entendre la conseillère de Mohamed Abbou.
A ce propos, elle s’adresse au président de la République qui veille au respect de la Constitution pour qu’il s’implique davantage dans la lutte contre cette hydre et rappelle le rôle prépondérant joué par la justice italienne contre la mafia. Une justice bien déterminée, mais aussi bien appuyée, constitue le garant de réussite pour cette lutte.
Politique et corruption font bon ménage
« Des partis politiques sont toujours là pour protéger les mafieux en Tunisie. Il y a même un retour des mafieux de l’ère de Ben Ali qui ont adhéré à des partis politiques, alors que d’autres, toujours au pouvoir, n’ont pas hésité à recourir à des hommes d’affaires véreux de l’ancien régime en matière de financement.
Tu me couvres, je te protège. Le donnant-donnant qui stigmatise et choque », révèle notre source. Il suffit de se pencher sur le financement occulte de certains partis politiques pour s’en rendre compte.
« Où va-t-on », se demande la conseillère de Mohamed Abbou? Demain il ne faut pas s’étonner de voir des clans mafieux s’entretuer dans le pays, conclut-elle.
En annonçant sa démission, l’avocat Mohamed Abbou déclare, non sans un pincement au cœur, n’avoir aucun désir d’assumer une responsabilité politique. « La situation dans ce pays semble encore plus complexe que je ne l’ai imaginé », ajoutera-t-il.